Article 23
3. Quiconque travaille a droit à une rémunération équitable et satisfaisante lui assurant ainsi qu'à sa famille une existence conforme à la dignité humaine et complétée, s'il y a lieu, par tous autres moyens de protection sociale.
Liberté numérique
Le Monde, éditorial du 22 avril 2007
C’est un texte qui porte mal son nom : loi sur la confiance dans l’économie numérique. En fait de confiance, c’est de menaces pour les libertés qu’il s’agit. Un décret d’application est en préparation qui donnera à cette loi du 21 juin 2004 sa vraie portée. Et ce projet de décret est inquiétant, comme l’ont expliqué dans Le Monde du 21 avril les membres du Groupement des éditeurs de sites en ligne (Geste).
En l’état, il oblige tous les opérateurs du secteur à conserver pendant un an les données transitant par eux, qu’ils soient éditeurs de sites Internet, opérateurs de téléphonie, fournisseurs d’accès, etc. Seraient obligatoirement archivés : les mots de passe dont se dotent les internautes ; leurs codes d’accès confidentiels ; leurs pseudonymes ; les numéros de leurs cartes bancaires ; leurs contributions à des forums ou à des blogs... En un mot, tout ce qui relève de l’intime, de la vie professionnelle ou du débat citoyen sur la Toile.
Les renseignements généraux, les services d’espionnage et de contre-espionnage auraient accès à ces données sur simple demande. Comme y auraient accès la police judiciaire et les magistrats instructeurs. Une fois recueillies, certaines données personnelles pourraient être « conservées pendant une durée maximale de trois ans » par les ministères de l’intérieur et de la défense.
Beau sujet de réflexion pour la Commission nationale de l’informatique et des libertés (CNIL), qui n’a pas encore été saisie de ce projet de décret. Elle n’a pas le pouvoir de s’y opposer, mais le devoir d’énoncer les limites à ne pas franchir.
Or les limites sont franchies lorsque, dans le domaine des libertés publiques, les autorités administratives (l’Etat) se substituent aux autorités judiciaires (les juges). Les premières sont subordonnées au gouvernement. Les secondes sont indépendantes. Elles opèrent dans les limites fixées par le code de procédure pénale, lequel garantit aux citoyens qu’ils ne seront pas soupçonnés ou poursuivis abusivement. Autoriser les ministères de l’intérieur et de la défense à accéder aux données personnelles d’un internaute sans le feu vert d’un juge est donc dangereux.
La lutte contre le terrorisme et le crime en général - un impératif bien sûr - ne justifie pas de faire de la société française une société de surveillance. Les libertés publiques sont un bloc. La liberté numérique, pour nouvelle et déroutante qu’elle soit, obéit aux mêmes règles. Elle interdit de transformer les éditeurs de sites en "indics" et ceux qui les fréquentent en sujets orwelliens.
Il est encore temps, il faut l’espérer, de remettre ce projet de texte sur le métier, la fièvre électorale n’étant pas bonne conseillère. Le débat en tout cas est ouvert. Aux candidats de dire ce qu’ils en pensent, eux qui ont si peu parlé jusqu’ici d’Internet.
Libertés sous surveillance
par Jean-Pierre Dubois, président de la LDH [
2]
Les « nouvelles technologies de l’information et de la communication » envahissent notre monde, pour le meilleur et pour le pire. Pour le meilleur, chacun l’éprouve quotidiennement : communiquer, s’informer, agir à distance, rendre parfois possible l’impossible pour des personnes frappées par l’âge, la maladie ou le handicap. Mais pour le pire aussi : tout voir, tout savoir, tout contrôler.
Puces, caméras, lecteurs d’empreintes, bases de données et fichiers qui pullulent et s’interconnectent de plus en plus largement... Dans une journée ordinaire de vie urbaine, chacun de nous est « tracé » au moins une bonne dizaine de fois.
« Pourquoi s’inquiéter ? Nous qui sommes honnêtes, nous n’avons rien à cacher ». Ainsi pense la grande majorité de la population. Et pourtant votre employeur, votre assureur, votre banquier, demain votre maire (« prévention de la délinquance » oblige), voire votre chef de « service auxiliaire citoyen de la police » (même jeu), mais aussi votre fournisseur d’accès à l’internet, votre hypermarché, votre contrôleur de l’assurance-maladie, tous sont et seront preneurs de votre « profil », d’un suivi constant de vos comportements civiques, alimentaires, sanitaires, de vos habitudes de consommation et de vos moeurs. Pour vous démarcher souvent, pour vous sanctionner parfois, pour vous surveiller toujours.
Cauchemar pessimiste ? La CNIL elle-même nous alertait il y a quelques mois sur la mise en place d’une « société de la surveillance ». A partir de besoins légitimes et d’apparence anodine (suivre le parcours scolaire des élèves, programmer des équipements de transport, améliorer la prévention sanitaire, réguler le trafic urbain, etc.), le fichage global, conjugué avec la puissance de calcul et de tri qui est aujourd’hui celle de l’informatisation à grande échelle, peut dans les toutes prochaines années, si nous ne réagissons pas sans attendre, mettre un outil extrêmement performant au service de la sélection, de la discrimination, de la stigmatisation des « déviants » et du contrôle social généralisé. D’autant que les politiques actuelles, sécuritaires, xénophobes, traqueuses de « fraudeurs » dans la « France d’en bas », sont sans cesse demanderesses d’un surcroît de surveillance.
Ceux qui nous gouvernent se disent volontiers « libéraux » et ennemis du « collectivisme ». Que serait-ce s’ils ne prétendaient pas l’être ? Se rappellent-ils que le mot « libéraux » dérive de « liberté » ? Le « collectivisme » de demain ne va-t-il pas naître des noces de Léviathan et de Big Brother ?
Ce risque ne se réalisera que si nous le voulons, ou plus précisément si nous n’y prenons garde. Expliquer, alerter, mobiliser : la défense des libertés et de la vie privée, elle aussi, nous appelle plus que jamais à la « vigilance citoyenne » et au débat démocratique le plus large. Pour que nos choix de vie ne se réduisent pas à un dilemme entre modernité et liberté, ni à l’alternative entre la jungle et le zoo.
Jean-Pierre Dubois
Surveillance tous risques
par Michel Alberganti, Le Monde du 16 février 2008
Progressivement, les technologies utilisées pour la surveillance deviennent plus intrusives, et remettent en cause les libertés individuelles. Ce sacrifice est justifié par la lutte contre le terrorisme et, plus généralement, contre les crimes et délits. Mais il constitue également un changement de paradigme de l’action policière. La recherche des coupables cède la place à une surveillance de la totalité de la population dans l’espoir de prévenir les attentats, par exemple.
Cet objectif louable fait appel à un réseau de plus en plus dense de collecte indirecte d’informations d’ordre privé. Les instruments les plus courants de la vie quotidienne deviennent ainsi des espions discrets : cartes bancaires, téléphones mobiles, connexions Internet, passes électroniques de transport (Navigo, Vélib’, LiberT), badge d’accès aux bâtiments... Parallèlement se constituent des fichiers de police répertoriant à la fois les personnes coupables, les victimes et les individus mêlés à des affaires judiciaires.
Michel Alberganti
Notes
[1] Le rapport a été publié lundi 9 juillet 2007 : http://www.cnil.fr/fileadmin/docume....
[2] Référence : éditorial du n° 172 (février 2008) de Ldh info, bulletin national mensuel de la Ligue des droits de l’Homme.